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Par : Père Maxime

Il me semble que votre billet pose une bonne question en cherchant à éprouver la solidité de l’affirmation en effet souvent entendue, « l’Islam, religion de paix », et en suggérant que cette question doit être portée et réfléchie à l’intérieur de l’Islam lui-même — même si cela n’est pas simple pour eux à mettre en oeuvre.

Aucun musulman ne nie la présence de versets violents dans le Coran. Certains cherchent à les expliquer en fonction d’un contexte d’écriture où l’Islam aurait été menacé. Or la réponse ne peut pour le moment satisfaire, et elle pose la question qui me paraît véritablement centrale: celle du rapport du Coran à l’histoire.

Vous soulignez à raison la violence de certains textes de l’Ancien Testament, ce qui ne me semble pas suffisant pour affirmer que le judaïsme a des racines violentes (ce qui voudrait dire, soit dit en passant, que le christianisme aussi, puisqu’il est tout enraciné dans l’Ancien Testament). En réalité, dès l’Ancien Testament, d’autres passages montrent les juifs cohabitant avec les peuples de Canaan. De ce fait, les passages de Josué 6 ont fait l’objet d’interprétations, non seulement par des exégètes chrétiens mais à l’intérieur même du judaïsme, qui montrent que le propos de l’auteur, là encore enraciné dans un contexte, n’avait pas pour fin la violence: en l’occurrence, puisque l’archéologie a montré que Jéricho était déjà détruite au moment où les Hébreux entrent dans la terre, une liturgie d’action de grâce – les fameuses « trompettes de Jéricho », qui ne sont pas les trompettes utilisées en temps de guerre – au Dieu qui a déjà livré le pays. Et réexprimée, il est vrai, en mode guerrier. Je ne détaille pas ici, mais la chose est amplement connue au moins des exégètes.

Si l’on poursuit le raisonnement, la présence de versets violents dans le Coran ne suffit pas à dire que cette religion s’enracinerait dans la violence. En revanche, cela pose de manière décisive la question du statut de cette parole. Si, comme dans la révélation chrétienne, cette parole est Parole de Dieu tout en étant pleinement parole humaine, inspirée par Dieu, alors on peut chercher le contexte historique de son écriture, et tenter de la comprendre en conséquence — la révélation transmise par Dieu n’étant pas séparable de la manière selon laquelle elle se donne dans l’histoire. Si, comme je le comprends de l’Islam, le Coran est en revanche exclusivement Parole de Dieu, dictée directement par l’ange à Mahomet sans qu’il y ait part humaine dans l’écriture, alors peut-on vraiment interpréter les versets à la faveur d’un contexte qui aurait été menaçant? En d’autres termes, si le Coran est en apesanteur historico-géographique, comment tenir que c’est le contexte historique qui permet de lire ces versets pacifiquement?

Il me semble donc que la question que l’Islam doit affronter est donc celle du rapport du Coran à l’histoire de sa propre écriture. Si le judaïsme et le christianisme, avec une intelligence accrue au fil de l’histoire, sont pacifiques (même s’il est juste de reconnaître que tous dans l’État d’Israël n’en sont pas l’illustration), cela n’a donc rien de contextuel comme le laisse parfois comprendre votre billet. Cela tient à la possibilité d’interpréter la révélation. L’interprétation spontanée, justement, que beaucoup de musulmans donnent des versets violents du Coran nous rassure (notamment sur la capacité de l’homme à écouter son coeur profond), elle manque en revanche d’une justification sérieuse à travers une véritable herméneutique de la révélation.

La solution que vous proposez, à savoir de confier à l’État un contrôle sur l’Islam, me paraît au contraire dangereuse, étrangère justement au principe de la laïcité.

Si j’étais musulman, je me demanderai franchement au nom de quoi un État s’arrogerait le droit de contrôler ce qui est pour moi Parole de Dieu; si j’étais musulman, j’espère aussi, bien sûr, que je saurai mesurer combien en revanche il m’incombe comprendre cette parole afin de pouvoir opposer au fanatique quelque chose de plus solide que l’affirmation, sans doute vraie mais pour l’instant fragile, que l’Islam est une religion de paix.

À partir du moment où l’État contrôlerait l’Islam sur le critère d’une — hypothétiquement isolable — part violente de sa révélation, alors pourquoi pas aussi le judaïsme, le christianisme? La simple opinion que l’avortement implique la mort d’un enfant n’est-elle pas déjà considérée comme une violence à beaucoup de ceux qui accèdent aux hautes fonctions de cet État? Pourquoi ne pas interdire aux chrétiens de s’exprimer sur ce sujet — ce qui est d’ailleurs en bonne voie? Cette question étant par ailleurs suffisamment douloureuse en toutes ses dimensions, je m’arrête là.

Quel rôle pour l’État? N’est-il pas de proposer à ses concitoyens un projet, une « idée de la France », qui permettent à tous ceux qui, quelles que soient les limites de leur engagement, ont cherché dimanche à se rassembler dans l’unité, de grandir et d’avancer ensemble? Nous constatons tous que c’est ce qui, pour le moment, fait défaut, et n’offre aucune chance aux Français issus de l’immigration, et parmi eux à bien des musulmans, de vivre avec les Français d’ancienne extraction une commune appartenance. Il ne s’agit pas « d’essentialiser » la France, mais de prendre acte de son histoire, sans laquelle aucune histoire à venir n’est possible, pas celle de la France en tout cas.

Un État pourra chercher à contrôler toutes les religions, s’il est sans projet, je doute que la violence en son sein diminue.


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